De Tooloose à Goodwood !

Vous connaissez sûrement l’histoire de cet employé municipal de Clermont-Dessous qui arrive à la retraite : Après une vie de labeur dévouée à la Brigade des feuilles, il lui prit l’envie, comme on achèterai un paquet de clopes, de quitter son Lot-et-Garonne natal et résidentiel, pour aller voir… Pékin ! Ni une ni deux, il prit son Codevi et le bus pour Villeneuve-sur-Lot. Ce n’était pas Express car une fois à la gare… « Heingue, c’est où Pekingue ? Allez a Toulouse, ils sauront !« .
Mais la grande ville ne sut suffixer la réponse que d’un « Boudu cong » avant d’orienter vers la capitale gallicane, qui, de ses 4 gares cardinales l’aiguilla vers Stuttgart, puis de là, non sans peine, vers Moscou, Madrid, puis Istambul, Téhéran, le Kamtchatka et enfin, après une fabuleuse route de soie, Pékin !

Belle histoire. Mais quel rapport avec Goodwood ?

Goodwood c’est un peu ça. Peu de gens situent spontanément Chichester sur une carte d’Angleterre. Et si l’évocation de la destination se suffit comme justification, la façon de l’atteindre est à la hauteur de la promesse. Pensez donc ! Du grand sud-ouest l’on remonte par la Nationale 20, bien au nord de Montauban. Un salut à Saint-Sulpice-les-Feuilles (village ordinaire mais au nom si romantique), à Vatan (pourtant si accueillant), aux pistes fantomatiques de Châteauroux, à Vierzon que l’on voudrait voir et revoir… Puis on bique vers l’Atlantique. Chartres et sa cathédrale couverte, Rouen et sa cathédrale pour finir à Dieppe, aux ronds points squattés d’Alpines Renault et dernier rideau d’écume avant la perfide Albion…

La brève croisière est l’occasion de la première pinte de bière… Puis changement de coté, de la Manche et de la conduite. Une foultitude de distractions attendent l’homme qui a su arriver trop tôt. Les falaises des Seven sisters, l’ile de Wight, la New forrest et le musée de Beaulieu, mais pourquoi pas Oxford, ou Bath, ou l’usine Morgan au pied du Cotswold ?

L’homme est pressé ? De Blagnac, un oiseau orange vous pose à un trait de train. Le temps d’un téléfilm et on y est. Presque trop vite. Toutes les routes mènent à Goodwood et elles sont toutes bonnes à prendre. Puis vient le moment fatidique qu’on appelle ‘la toute première fois’. Le tunnel d’Alice en quelque sorte. Un peu comme sous l’effet d’un psychotrope le champs de vision se raccourcit. Le pouls s’accélère. Le cerveau débranche le superflu : le passé, les ennuis, mais aussi la contenance, ou toute forme d’égo qui légitimait notre classement en catégorie ‘adulte’. On ne voit plus que ce bouchon de voitures sur deux files, bien ordonnées, à peine troublé par quelques immat françaises en train de resquiller…

Et quel bouchon ! Devant, une Austin BN7 ; à coté, une Princess ; derrière, une type E, puis la file de gauche avance plus vite. Ha, un Alvis TD21 ! Noooon. Une Gordon Keeble ! une Lagonda rapide, une…, une…, …
Puis dans une organisation toute Anglaise (à part quelques français qui continuent à gruger ou faire le contraire de ce qu’on leur indique), une farandole de guides vous oriente et vous place sur ces immenses parkings qui vont recevoir 150.000 personnes le temps d’un week-end.

Et quel parking…

Le plus grand musée automobile éphémère de ce coté de l’Atlantique. Oui. On peut déjà passer une grosse matinée, voire chaque matinée puisque le musée se reprofile chaque jour.
Mais le spectacle s’efface peu à peu lorsque, reprenant quelques esprits, on réalise que son clou ne se limite pas aux voitures. Oui, le spectacle est partout, et finit par venir jusqu’à vous. Dans le costume à carreau et bretelles que vous avez fébrilement déniché dans une fripe d’occasion pour l’occasion, vous faites partie de la fête. Vous en êtes une des facettes. Après arrive la phase de « n’en jetez plus ». Rarement aurez vous eu la commissure des lèvres aussi longtemps aussi près des oreilles.

Et encore, vous n’avez pas débordé du quartier où le petit peuple s’amuse (dit « over the road »). Car il vous reste encore à passer la fameuse passerelle de fer, pour entrer dans l’arène des rumeurs, au sens latin du terme. Le bruit et l’odeur, qui bourdonne dans les oreilles. Là où les chevaliers des temps modernes vont jouter et frotter leurs carapaces d’acier, parfois jusqu’au premier sang. Temple sacrificiel à la gloire de Toutanmecanos ? Pour ceux qui aiment, c’est un pléonasme. Mais les autres sont tout aussi bien servis, Madame. Pas moins de cinq salles de bal où l’on peut danser avec des stars, un cinéma de plein air où l’on hésite entre une Cadillac et une Jag Mk10 comme fauteuil (popcorn offert), un musée de l’air et bien sûr le ballet d’ouverture et fermeture par des Spits, des Mustangs et autres Messerschmitt (pas ma marque préférée), ha.

Et puis les salons de coiffure d’époque, les pubs, le garage SU, l’échoppe de ‘mints’ à déguster, le coin américain, très Rock-n-Roll, la fête foraine de début du siècle avant-dernier, le musée (cette année une rétrospective sur le film The Italian job — le Tonton Flingueur d’en face — avec le véritable bus aux deux essieux directifs et ses lingots d’or, les deux type E et l’Aston décapotable)… et je peux continuer, sans oublier le spectacle apporté par les invités. Il me plait de me poster à l’entrée de l’étroit passage souterrain menant aux paddocks, et d’observer le défilé continu de costumes saugrenus. Quelle bio-diversité extraordinaire ! Chacun est venu comme il a envie d’être. Seule la carapace est restée dans la malle.

Puis vient le coup du lapin. Celui d’Alice au pays des merveilles. Un regard sur la montre. Mon dieu qu’il est tard ! C’est passé si vite… et le lendemain ne fait que constater votre don d’inubiquité. Comment ne rien manquer ? Comme la princesse et son casse-noisette, il est déjà temps de se quitter. Au bout de trois jours (horloge terrestre), on s’extirpe du puits d’Alice pour revenir — non sans acclimatation — à la terre ferme peuplée de 208 et de Dacia, de dalles OLED et d’agenda. Au dernier panache du ferry dans le rétro, on se pince, pour être sûr de n’avoir point rêvé. On n’en ressort pas indemne. Le virus incube doucement pour se réveiller au mois d’avril. A temps pour boucler les places de l’édition suivante avant leur épuisement et marner sur l’agenda avec plus de ferveur qu’un premier Noël…

Ha, j’oubliais la conclusion de notre aventure du péquin de Pékin…
Après avoir fait le tour de la ville, le temps fut venu de rentrer. Rendu en gare de Pékin, un peu hésitant, il répond au guichetier : « Où ? Heu… miladiou… à Clermont-Dessous ! C’est… » et le guichetier lui répond au débridé : « Clermont-Dessous, à coté de Frégimont ?« .